lesquels pensaient être emportés d’un coup de canon par un malhabile
homme, qui les voyant venir, courant avec confusion, sans
faire distinction d’amis ou d’ennemis, mit le feu au canon, mais
par bonheur, l’amorce se trouva si mauvaise que le coup ne s’en
alla pas. Que s’il eut parti, la pièce étant si bien braquée sur le
petit chemin par lequel ils venaient, qu’il eut tué tout le monde.
M. de Maison-Neuve arriva au fort, chacun en eut une joie qu’on
ne peut exprimer, et alors, trop convaincus de son courage, protestèrent
qu’à l’avenir, ils se donneraient bien de garde de le faire
ainsi exposer mal à propos. Au reste, il semble que Dieu en cette
occasion ne leur avait imprimé de la frayeur que pour faire davantage
éclater son courage et le mieux établir dans leur esprit. Ce
rude combat et plusieurs autres qui se firent pendant cette année
n’empêcha pas ce printemps même qu’on ne commença à faire du
bled français à la sollicitation de M. d’Aillebout auquel le Canada
a l’obligation de cette première épreuve, qui convainquit un chacun
que la froideur de ce climat, ne l’empêchait pas de produire une
grande abondance de bled. Enfin l’été étant venu, le sieur de
la Barre arriva de France ici avec beaucoup de gens, partie desquels
étaient d’une compagnie que la reine envoya cette année là en
Canada sous sa conduite, laquelle compagnie fut distribuée dans
les différents quartiers de ce pays ; et l’autre partie de ce monde
venait aux frais des Messieurs du Montréal, lesquels firent encore
cette année de très-grandes dépenses pour ce lieu. Ce qui est remarquable
ici dedans, c’est l’hypocrisie du sieur de la Barre qui trompa
tant de gens en France et en Canada ; à la Rochelle, il portait à sa
ceinture un grand chapelet avec un grand crucifix qu’il avait quasi
incessamment devant les yeux, tellement qu’il venait en ce pays
comme un homme apostolique auquel on avait confié ce commandement. Ainsi, sous des vertus apparentes, il cachait une très
méchante vie qui l’a fait finir ses jours sous une barre qui était
plus pesante que celle de son nom ; au reste quoiqu’il fit l’hypocrite
aussi bien qu’homme de son siècle, toujours est-il vrai qu’il a
rendu un grand service au pays en y amenant ce secours, et c’est
un être pour l’en récompenser que Dieu lui a fait faire cette rude
pénitence pour fa conclusion de sa vie ; afin de lui donner un
moyen de satisfaire à ses crimes, comme apparemment il a fait mourant d’une façon qui a laissé sujet de croire à tous que ça été
pour le grand bien de son âme. Ce personnage qui portait eu lui
l’image de la même vertu, demeura au Montréal toute l’année suivante, mais enfin on le reconnut par quelques promenades qu’il
faisait fréquemment dans le bois avec une sauvagesse qu’il engrossa,
ce qui découvrit l’erreur de ces beaux prétextes. Mais pour ne
Page:Dollier de Casson - Histoire du Montréal, 1640-1672, 1871.djvu/32
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