Page:Dorgelès - Le Cabaret de la belle femme.djvu/102

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Mahieu hésita un instant : il lui restait tout juste un quart de café dans son bidon. Son bon cœur l’emporta et il tendit son bidon à l’Allemand. Le blessé but d’un trait, sans respirer. Puis il murmura :

— Ça va mieux… maintenant vous allez m’aider, je ne pourrai jamais marcher tout seul.

— Appuie-toi sur l’épaule de ton copain, conseilla Grandjean.

— Non, j’aime mieux sur vous, il est trop brutal. Et puis, il va trop vite.

L’autre, en effet, reprenait déjà sa course, effrayé par les obus qui s’étaient remis à pleuvoir. Grandjean le héla :

— Dis donc, la gourde, c’est-y qu’une gonzesse t’attend que tu mets les bouts de bois à c’t’allure-là ?

Le blessé eut un petit rire.

— Il ne comprend pas, voyons, fit-il… Je vais lui traduire, tu vas voir… D’une voix rogue, il lança quelques mots, et aussitôt son camarade ayant tourné la tête se mit à leur pas. Dix fois, les territoriaux se seraient perdus dans ce dédale fumant, mais leur prisonnier connaissait bien le village que son régiment avait occupé des mois, et il les guidait habilement, soupirant parfois, lorsqu’il passait devant des ruines.

— Une si belle église… une si belle ferme… misère !

Il avait un air si malheureux pour dire cela avec de gros soupirs que Grandjean, le guignant