Page:Dorgelès - Le Cabaret de la belle femme.djvu/103

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de côté, se demanda plusieurs fois s’il n’exagérait pas son affliction et ne se moquait pas d’eux. Mahieu, lui, n’y voyait pas malice et trouvait ce Prussien « bien convenable ».

Comme ils se prenaient les pieds dans de la ferraille tordue, le prisonnier leur dit du même ton désolé :

— Ce sont les rails du tramway. On ne le dirait jamais, eh bien, vous êtes dans la grand’rue, une rue magnifique… C’est dommage… Ces pays-là, on ne pourra jamais les reconstruire, on ne pourra même pas déblayer, c’est ruiné pour toujours… Ah ! oui, c’est un grand malheur…

Puis, comme il sentait Grandjean mécontent, il le félicita avec adresse sur sa façon de parler, lui jurant qu’il l’aurait pris pour un Parisien ; ce qui suffit à rasséréner le gars normand.

De loin en loin, leur groupe croisait des soldats qui parcouraient les ruines, agents de liaison, blessés légers, sapeurs du génie.

— Oh ! qu’il est laid, criaient-ils en regardant l’Allemand. Sa mère a accouché d’un veau.

L’autre répliquait en souriant :

— Et ta sœur ?

Et il lançait ces mots avec un tel accent de faubourg que les soldats se retournaient sur lui, interloqués, et le regardaient s’éloigner sans rien trouver à répondre.

Ils arrivèrent enfin à nos tranchées de départ et s’engagèrent dans les boyaux. Puis ils prirent la route, bordée d’arbres aux troncs mâchonnés,