Page:Dorgelès - Le Cabaret de la belle femme.djvu/117

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Il tint à remettre lui-même la revue à son destinataire et il observa que Jean de Crécy-Gonzalve était somme toute, d’aspect très militaire, se tenant droit comme une hampe les bras tombants et les talons en équerre, et qu’il s’exprimait avec une correction faite pour rendre jaloux les meilleurs élèves des Pères.

Le capitaine lui demanda gentiment s’il mettait beaucoup de temps pour écrire ses « petites machines » et de Crécy-Gonzalve, lancé sur l’unique sujet de conversation qui l’eût jamais passionné, se mit à parler vers et poètes, revues, écoles, symbolisme, unanimisme, ghildes, hurles aux loups, café du Dôme, simultanéistes, inclinant légèrement la tête chaque fois qu’il prononçait le nom de Guillaume Apollinaire, comme les fidèles à la messe lorsqu’ils chantent Jesu Christe.

Il en était à exprimer son sentiment sur le cubisme littéraire, quand le capitaine lui demanda à brûle-pourpoint :

— Vous savez monter à bicyclette ?

De Crécy-Gonzalve, arrêté net comme un cheval emballé, resta d’abord bouche bée, puis il comprit et il répondit précipitamment : — Oh ! oui, mon capitaine, je monte même bien, très bien.

— Eh bien, vous serez mon cycliste.

Et le lendemain, Jean de Crécy-Gonzalve, pour célébrer son entrée en fonctions, écrasait une poule, renversait un cuistot avec son bouteillon plein et voilait sa roue.

C’était néanmoins un cycliste des plus accep-