Page:Dorgelès - Le Cabaret de la belle femme.djvu/118

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tables, et, pourvu qu’on ne lui demandât pas de monter à bicyclette, il était parfaitement capable de rendre des services.

Plusieurs fois, il dut porter des plis sous des barrages violents, et jamais on ne le vit flancher ni même s’étonner. Il soupirait comme la Jeune captive, disait d’un air navré :

— Souhaitons qu’il n’advienne rien de fâcheux à ce jeune monsieur si distingué qui est au poste d’écoute.

Et il, s’en revenait du même pas rapide, clouant de stupeur les hommes de soupe qui le prenaient d’abord pour un officier, à cause du monocle, et n’osaient l’injurier qu’au repassage.

Le poète savait apprécier comme il le méritait ce poste de cycliste qui lui permettait de passer ses nuits dans un gourbi et de couper aux corvées. Malheureusement, il n’arrivait pas à comprendre que c’était la guerre, que son chef direct ne s’appelait du tout Pierre de Ronsard, que la vie ne consistait plus à échanger des coups de chapeau et à parler des ballets russes, mais à s’entre-étriper et à manger avec ses doigts, si bien que ses façons de chasseurs de papillons finirent par exaspérer tout le monde.

Un matin, sans un obus tiré, dans la grisaille humide du petit matin, les Boches attaquèrent. Ce fut une rude attaque, menée à la grenade ; les Allemands, profitant de la surprise parvinrent à sauter dans la tranchée et un combat féroce s’engagea dans les boyaux. Éveillé par le bruit, le 75 s’était mis à tirer, fauchant au jugé le champ brumeux, et, à son poste de commandement, le