Page:Dorgelès - Le Cabaret de la belle femme.djvu/153

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S’étant assuré, d’un regard en biais, qu’il n’était pas repéré, il renversa la tête et but goulûment, à la régalade. On eût dit que sa bouche était cousue au bidon par un beau fil rouge. Il le vida jusqu’à la dernière gorgée, puis ayant fait claquer sa langue, comme c’est l’usage, il le jeta tristement dans l’espace. Ensuite, il se débarrassa de ses grenades, de ses cartouchières, de sa boîte à masque et de sa baïonnette qui lui meurtrissait les reins depuis tant de mois. Avant de jeter son porte-monnaie, il compta scrupuleusement ses sous, et il soupira en lançant sa blague encore pleine.

À ce moment, trottinant derrière le troupeau effaré des damnés qui gravissait la route, Lousteau aperçut une femme, une pauvre gosse de femme, ses cheveux blonds défaits, habillée d’un méchant peignoir rose et ses pieds nus dans des babouches. Elle regarda le soldat et s’approcha en larmes.

— T’es de Montmartre ? lui demanda Lousteau apitoyé.

— Oui, répondit-elle en sanglotant. Je suis punie pour être morte en prenant de la coco… Oh ! j’ai peur, si vous saviez, j’ai peur.

— Alors, tu vas en enfer, ma pauvre môme ?

— Oh ! non, se récria la petite, pas ça ! Mais j’ai dix ans de purgatoire. C’est dur, hein ? Non, je n’ose pas, je ne veux pas, je vais tellement souffrir !

Et elle se remit à pleurer.

Lousteau la regardait, à la fois amusé et peiné. Cette grosse frayeur de petite noceuse le tou-