Page:Dorgelès - Le Cabaret de la belle femme.djvu/16

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tre. Les dormeurs dégringolent les talus, les flâneurs accourent, on se bouscule le long des barrières…

Bientôt, la cour est pleine. Tout le monde crie ensemble :

— Ah ! Bravo… Chut !… Écoutez… Pour les engagements ?… Ne poussez pas, ça ne sert à rien… Bour les Alsaziens, mon lieudenant ?… Vos gueules !

L’officier, un petit, nous regarde d’un air excédé. Peu à peu, la cohue se tait, bien tassée. L’officier peut appeler :

— Les insoumis et les déserteurs seulement, crie-t-il d’une voix grêle.

— Et les autres, réclame-t-on de tous côtés.

— Plus tard. Les insoumis et les déserteurs d’abord.

Un « ah » de déception monte de cette foule. Quelques hommes fendent les groupes et se glissent par la porte entr’ouverte.

— Les veinards ! grognent les autres…

Mon voisin le myope, en s’excusant, s’est frayé un passage, et il entre parmi les premiers, avec deux gars solides, au front buté et à la nuque courte. Il baisse la tête et ne se retourne pas ; lui seul ne paraît pas très fier de passer avant nous, mêlé à ces privilégiés en espadrilles.

— C’est ceux-là qu’on prend, braille avec un ricanement de mépris le petit rougeaud au front luisant de sueur. Ils se foutent du monde, alors, au recrutement. Des gars comme ça, mais j’en boufferais quatre ! Et pourquoi d’abord qu’ils font passer avant nous les déserteurs ? Je suis