Page:Dorgelès - Le Cabaret de la belle femme.djvu/39

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corps dodu, bien fait pour le joli péché. Je n’ai jamais rencontré de femme dont la réputation fût pire.

Hélas ! faut-il qu’il y ait des erreurs judiciaires même devant le tribunal de Dieu ? Je l’ai bien connue, moi, la femme du boucher, et je puis jurer que c’était une sainte, un peu défraîchie peut-être par la fréquentation de la troupe, mais une sainte tout de même.

Combien de régiments ont, après le nôtre, éprouvé sa solide vertu et bu ses petits verres dans le débit clandestin où elle vendait à des prix d’usure d’aigres vermouths et des digestifs empoisonnés ? À combien de milliers d’hommes encore dut-elle résister ?

Quand on entrait chez elle, on trouvait toujours un camarade faisant sa cour, elle cramoisie, lui l’œil luisant, et il fallait attendre son tour, assis en file, le dos au mur, comme chez le coiffeur, tandis qu’elle écoutait le suborneur, accoudée au comptoir dans sa pose favorite, la poitrine étalée sur le tiroir-caisse. C’était un plaisir de la voir. Elle riait, énervée, frémissant quand on lui touchait seulement le gras du bras ; elle rougissait, non de pudeur, mais de fièvre, et, trop bonne fille pour rien refuser, elle finissait toujours par dire « oui ». Le camarade triomphant empochait ce « oui » là comme une lettre de change tirée sur la félicité.

— Il ne faut pas que les voisins vous voient entrer, surtout, lui recommandait tout bas la belle. Vous passerez par la cour, il y a moins de danger. Vous n’aurez qu’à prendre l’échelle qui