Page:Dorgelès - Le Cabaret de la belle femme.djvu/56

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tourment. Il fallait, les porter courts, lui voulait les garder longs.

À qui faut-il reprocher l’injuste discrédit des cheveux dans la vie militaire ? Je me le suis bien souvent demandé, lorsque, à califourchon sur un bât de mulet, dans le parc du train de combat, je me livrais aux mains d’un coiffeur bénévole, qui me dévastait la tête de sa tondeuse ébréchée. Je ne pense pas que ce soit Turenne, qui portait perruque, ni Carnot, qui avait les cheveux bouclés, qu’il faille incriminer. Après de longues réflexions, c’est le Petit Tondu que j’ai fini par soupçonner. Grâce à lui j’aurai passé les meilleures années de ma vie — les meilleures quant à l’âge et non quant aux occupations — aussi parfaitement tondu qu’un œuf dur, ce qui me donnait un visage enjoué de jeune relégué.

Étant regimbeur comme personne, je comprends fort bien que les soldats tiennent à garder leurs cheveux, puisque le règlement leur ordonne d’être rasés, mais Lousteau mettait à défendre les siens une ténacité tout de même exagérée. Sans parti pris, ce n’étaient pas de jolis cheveux : ternes, épais, entortillés par mèches, on les eût dits en laine brute. Mais, tels qu’ils étaient, ils plaisaient infiniment à Lousteau et il déploya pour les conserver des ruses étonnantes qui, utilisées pour le bien du service, l’eussent certainement fait nommer « premier jus ».

L’adjudant Noisard, en revanche, n’aimait pas les cheveux — les nôtres du moins, car il portait les siens bien gras, avec une raie sur le côté — et, après nos vivres de réserve et nos deux cents