Page:Dorgelès - Le Cabaret de la belle femme.djvu/99

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nait toujours pas, mais tenait à ne contrarier personne.

Grandjean ne laissa pas à son camarade le temps de triompher.

— Hé ! Boche, intervint-il en secouant l’homme en gris. C’est pas moi qui t’as amené ? Dis-y voir…

— Ya, fit encore l’autre du même air réfléchi.

Mahieu, fort de son bon droit, jugea inutile de poursuivre.

— C’est pas tout ça, dit-il d’un ton résolu, c’est le mien, je l’emmène.

Et il tira le prisonnier par la manche pour le faire lever. Grandjean eut un mouvement de colère.

— Ah ! n’y touche pas, éclata-t-il.

— Fous-moi la paix ! riposta l’autre.

— Laisse-le, Mahieu… J’te préviens, ça va faire du vilain.

Dressés tout pâles l’un devant l’autre, ils se défiaient d’une voix rauque, les poings crispés. Grandjean, qui dominait son camarade de la tête, bouscula Mahieu qui leva la main… Ils allaient s’empoigner, quand le prisonnier, comprenant confusément ce qui se passait, se jeta entre eux. Il avait saisi Grandjean par son ceinturon, Mahieu par le bras, et il les écartait l’un de l’autre en bredouillant des supplications plaintives dont ils ne comprenaient pas un mot. Sentant qu’on les retenait, les soldats exagéraient leur fureur, et par-dessus le dos gris larmoyant, ils s’injuriaient.