Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/122

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Prisonniers dans leurs granges, les hommes désœuvrés se sont assis aux lucarnes, jambes pendantes. Ils savourent une bonne oisiveté en regardant passer les compagnies qui vont à l’exercice pour apprendre à présenter les armes en décomposant.

Sur le Chemin des Vaches, où passe le Decauville, des territoriaux grisonnants qui vont à la corvée jouent au chemin de fer. L’un d’eux, un vieux, assis sur un wagonnet, se laisse entraîner sur la pente en faisant : « Pin ! Pin ! » et les autres courent derrière, criaillant comme des gosses.

Pour traverser la place, il faut raser les murs, se défiler derrière les piles de rondins, utiliser le terrain.

— Vise, nous dit Lemoine, le gars Broucke qui nous fait bonjour.

Le ch’timi est enfermé dans le sous-sol de la mairie, dont on a fait une prison. La tête passée entre les barreaux du soupirail, il prend l’air et sans rien dire, de peur de nous faire repérer, il nous sourit.

— Passer son repos en taule quand on n’a rien fait, c’est tout de même ressautant, grogne Sulphart. Y a pas à chiquer contre, on est moins que rien. Si jamais Morache nous disait : « Vous allez me baiser le gras des reins », on n’aurait rien à répondre, rien à foutre, qu’à l’aider à se déculotter. Sans charre, y a de l’abus… Puisqu’on est en République on devrait tous être égal.

Gilbert qui n’est pas démocrate, hausse les épaules et fait sa petite moue de guenon déçue.

— L’égalité, c’est un mot, l’égalité… Qu’est-ce que c’est, l’égalité ?