Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/123

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Sulphart réfléchit un instant. Puis il répond sans vouloir rire :

— L’égalité, c’est de pouvoir dire m… à tout le monde.

Au bout du village nous nous arrêtons un instant pour bavarder avec Bernadette, qui garde ses bêtes. Elle plaît beaucoup à Gilbert, avec ses longs yeux minces de chevrette, ses joues criblées de son et son cou frêle de Parisienne. Il lui dit des bêtises, qui la font éclater d’un gros rire, et je crois qu’il la voit en cachette. Trop niaise pour être perverse, cela doit l’amuser, tous ces hommes échauffés qui la poursuivent, la relançant jusque dans l’écurie. Peut-être, cependant, en a-t-elle remarqué un dans la bande.

Elle pense à nous, lorsque le régiment est aux tranchées. Et quand le canon tonne dur, elle compte candidement chaque coup… « Un peu… Beaucoup… Passionnément… » comme si elle effeuillait la marguerite.



— Dépêchez-vous, monsieur Sulphart, vous allez m’aider à plumer le canard.

Une bonne haleine chaude nous accueille en entrant dans la cuisine. La table ronde, toute blanche sous la lampe, semble nous attendre pour lire. Mes chaussons sont là, près du poêle, le gros chat roux couché dessus. On croirait rentrer chez soi, un jour de pluie.

Les joues encore brûlantes de la marche au vent vif des champs, nous soufflons, tout heureux.

— On est mieux ici que dans la tranchée, hein,