Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/124

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gamins, nous dit la mère Monpoix, qui tourne dans son saladier la pâte crémeuse des beignets.

C’est vrai, on est bien au moulin. Cela fait deux mois que nous y venons au repos : six jours en ligne, trois jours à la ferme.

Au début, nous avons dormi dans les granges, sous la remise, au grenier et jusque dans l’escalier. Mais depuis, sans nous soucier des Allemands qui du clocher de L… devaient nous voir piocher, nous nous sommes creusé des gourbis dans l’herbage. De loin, tous ces tumulus font songer à des tombes fraîches qui attendraient leur croix. Il ne reste plus, des fragiles paillotes construites en septembre, que quelques huttes malgaches, dont les pluies ont pourri le bois et crevé la toiture de roseaux. Pourtant le cantonnement s’appelle toujours le village nègre. Ceux que je visitais, enfant, pour vingt sous, n’étaient pas plus amusants, et je crois, quand je nous regarde, retrouver les mêmes sauvages – un peu moins noirs tout de même – qui préparent leur couscous dans des gamelles de fer-blanc.

Nous sommes une dizaine de camarades, sergents et soldats, qui vivons à la ferme en popote. On y retrouve Lambert, le fourrier, Bourland, de la liaison du colonel, Demachy, Godin qui était sergent et que Barbaroux, le major, a fait casser pour une bêtise. Ricordeau et parfois l’adjudant Berthier quand il s’ennuie à sa popote.

Malgré les gourbis creusés dans l’herbage, malgré la fumée qui leur montre que la maison est habitée, jamais les Allemands ne tirent par ici. Ils marmitent tout, détruisent le village, toit par toit, mais jamais