Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/15

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allemande, n’ayant eu le temps de rien sauver, et ils n’étaient jamais revenus. Le vaguemestre y avait un moment installé son bureau, mais un obus ayant un matin ajouté un œil-de-bœuf à la façade, il avait jugé prudent de s’en aller à l’autre bout du pays.

On nous avait formellement défendu d’entrer dans la maison, dont toutes les portes étaient verrouillées. L’adjudant Morache, qui aimait nous gâter de ces sortes de promesses, avait tout de suite annoncé douze balles dans la peau pour le contrevenant, sans compter le coup de grâce. Cela avait donné l’idée à Sulphart de visiter la villa. Il la connaissait à présent dans ses moindres recoins, ouvrant les portes avec ménagement, à grands coups de souliers, quand une adroite pesée avec un tronçon de baïonnette ne suffisait pas.

Il conduisit Lemoine au premier, dans une grande chambre aux tentures claires.

— V’là ce qu’il nous faut, dit-il en ouvrant l’armoire.

Et, jetant, en vrac, du linge et des robes sur le tapis, fouillant les tiroirs, vidant les rayons, il fit son choix.

— J’vas m’habiller en poule et toi en homme, tu piges, face d’âne.

Le temps de déchirer quelques corsages dans des essayages malheureux, et ils purent s’admirer dans la glace, transformés en mariés de mardi gras. Quand ils parurent dans la cour, bras dessus, bras dessous, ce fut une courte stupéfaction, puis une clameur les salua.

— Vive la noce ! beugla le premier, Fouillard.

Les autres braillèrent plus fort, et l’escouade hurlant de joie entoura les deux chienlits. Sulphart avait passé sur son pantalon rouge, un joli pantalon de femme