Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/158

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blessé – avait répondu en mauvais français, nous traitant de vaches et de cocus.

Depuis, Sulphart manifestait une joie insolente. Il avait braillé, pendant toute la relève, raconté son fait d’armes à tout le régiment, interpellé les officiers, ameuté les cuisiniers à la sortie des boyaux, sa face radieuse pétant d’orgueil.

— Il l’a reçu en pleine gueule, que je vous dis, j’en suis sûr ; à preuve qu’il m’a appelé cocu, et en français… C’était sûrement un officier.

Il avait couru dans toutes les caves pour narrer son histoire, et, pour un quart de vin, il en faisait en public un récit détaillé et adroitement enjolivé. À l’entrée de la cave où il gavait patiemment son oiseau vorace, on l’entendait raconter son histoire pour la centième fois, à des bleus gobeurs qui l’admiraient.

— Oui, mon gars, clamait-il, le général l’a reçu en pleine gueule. Même qu’il m’a appelé cocu en français.

Et comme il savait, malgré tout, rendre hommage à ses ennemis, il ajoutait, avec une intonation de respect :

— Y a pas, ils sont tout de même instruits ces mecs-là !