Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/161

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au danger, retenait pourtant sa baïonnette, qui ferraillait. La même gravité nous dominait tous. Seul, Maroux était satisfait. Il avait prétendu que c’était un filon, que là-haut personne ne viendrait nous voir, que nous serions tranquilles. Mais, comme les autres, il allait la tête basse, maintenant sa gamelle qui brimbalait.

— Planquez-vous !

Deux obus sifflèrent et vinrent éclater à vingt pas, éclair rouge qui nous éblouit. Tous s’étaient écrasés, les uns dans les autres. Les éclats fouettèrent la craie.

— Faites passer, en avant…

Dans la tranchée étroite, creusée sur l’autre versant de la butte, les hommes du régiment relevé nous attendaient, impatients, sac au dos. Tout bas, à mots hachés, les sergents transmirent les consignes :

— Leur tranchée est à la lisière du bois… Un peu plus de cent mètres. Ne tirez pas sur la gauche plus loin que les bouleaux : c’est un petit poste à nous…

Brièvement, les camarades nous souhaitaient bonne chance, tout en ramassant leur barda.

— Gare aux torpilles, surtout le soir, à l’heure de la soupe. Si vous pouvez, ramenez le gars qui est dans le champ, juste devant les fils de fer. C’est un copain à nous qui s’est fait descendre l’autre nuit. Vous l’enterrerez, hein ? Un nommé Questel…

Vite, ils partirent, encaqués dans l’étroit boyau où toute la tranchée se déversait. Leur rumeur étouffée s’éloigna et se tut. Veinards…

Ils n’avaient rien laissé au Calvaire : quelques boîtes de singe, des paquets de cartouches, des boules pas entamées, un copain dans la plaine… Ils étaient partis.