Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/213

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aboiements de grenades, camarades qui s’écroulent. Sans connaître de direction, l’un suivant l’autre, on chargeait, droit devant soi…

Aplatis derrière un mur, des traînards se cachaient : « Avec nous, salauds ! » leur cria Gilbert.

Quelques Boches passèrent en courant, déséquipés, les mains hautes, filant vers nos lignes. Assis à l’entrée d’une cave, un autre épongeait, avec un mouchoir sale, le sang qui lui coulait du front ; de la main gauche, il nous fit bonjour.

Malgré le crépitement, on entendait le long halètement des marmites qui s’abattaient au milieu du village, arrachant un nuage épais de poussière et de fumée, et, le dos bossu, on se jetait contre les murs.

Dans la poussière et les plâtras, nous avions pris la teinte neutre de ces choses anéanties. Rien de vivant, de façonné ; des débris pilonnés, un chantier de catastrophe où tout se confondait : les cadavres émergeant des décombres, les pierres broyées, les lambeaux d’étoffes, les débris de meubles, les sacs de soldats, tout cela semblable, anéanti, les morts pas plus tragiques que les cailloux.

Épuisés, haletants, nous ne courions plus. Une route coupait les ruines et une mitrailleuse invisible la criblait, soulevant un petit nuage à ras de terre. « Tous dans le boyau ! » cria un adjudant.

Sans regarder, on y sauta. En touchant du pied ce fond mou, un dégoût surhumain me rejeta en arrière, épouvanté. C’était un entassement infâme, une exhumation monstrueuse de Bavarois cireux sur d’autres déjà noirs, dont les bouches tordues exhalaient une haleine pourrie ; tout un amas de chairs déchiquetées,