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Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/247

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On dirait que rien ne vit, dans ce chantier de gravats brûlé par le soleil. Cette nuit, on tremblait de froid dans les trous, maintenant on suffoque. Rien ne bouge. Écrasé contre le parapet de sacs à terre, dont sa capote a pris la teinte, le guetteur attend, sans un mouvement, pareil à celui qu’on voit couché devant la chapelle, les bras en croix et la nuque béante, le crâne gobé par la blessure.

Les obus tombent toujours, mais on ne les entend plus. Hébétés, fiévreux, nous sommes allés en visite dans la tombe à Sulphart. On la reconnaît à son enseigne :

« Mathieu, ancien maire. »

Du matin à la nuit, il joue aux cartes avec Lemoine, et, comme il perd, il crie, il injurie l’autre et l’accuse de le voler. Lemoine reste tranquille.

— Gueule pas tant, lui dit-il seulement, tu vas réveiller le maire.

Tassés tous les quatre dans le tombeau étroit, nous haletons. Il n’est que trois heures, tous les bidons sont à sec depuis longtemps, et les hommes de corvée qui partent à la brune ne rentreront pas avant minuit. Je ne parle plus, pour avoir moins soif. Cette poussière de pierre pilée et de poudre nous brûle la gorge, et, les lèvres sèches, les tempes bourdonnantes, on pense à boire, à boire comme des bêtes, la tête dans un baquet.

— Tu paieras un seau de vin, hein, Gilbert ? répète