Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/308

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— Moi, j’ai du chocolat, fit Sulphart d’une voix courte. Lequel qui en veut ?

Les blessés vidèrent leurs sacs, leurs musettes, et les trois autres choisirent ce qui leur plut. Le butin partagé :

— Alors, on y va ? dit l’un des trois, un caporal dont on découvrait la pâleur sous des traînées de sueur et de boue… Au revoir les copains, bonne chance !

Ils sortirent de la tranchée et d’un trot lourd, ployés sous le bruit, ils coururent vers le bois, tout seuls – trois pygmées qui chargeaient sur des géants de fumée.


Assis sur les sacs à terre, accoté à la paroi molle, Sulphart se sentait presque bien, la chair endolorie, la tête brûlante. Mais il était sans forces, sans volonté ; un camarade moins blessé dut l’aider à se relever.

— Allons, dépêche-toi, lui répétaient ceux qui le précédaient.

Il ne pouvait pas marcher vite, avec ce point pénétrant qui l’empêchait de respirer.

— Hé ! voulut-il appeler… Attendez-moi.

Mais sa voix étouffée ne portait pas loin et les autres se pressaient. Il vit la capote du dernier disparaître au tournant de la tranchée. Arrêté un instant, il reprit haleine, puis, ayant ramassé un bâton, il repartit, courbé comme un vieux.

Des blessés cheminaient tout le long des boyaux. Il y en avait de terribles, au teint gris, qui s’arrêtaient pour râler, accroupis dans des renfoncements et vous regardaient passer avec des yeux hagards qui ne voyaient plus. Sulphart les remarquait à peine, allant toujours du même pas tenace.