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Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/117

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L’ACTION

C’est que, isolé d’âme comme il vit, dans le milieu pratique et prosaïque qui le rebute, l’étudiant est chaque jour plus sensible aux appels qui lui viennent des livres. Lui, que ses maîtres dinanais taxent de paresseux, il apprend passionnément l’italien, afin de lire Dante dans l’original. Ce qu’il chérit tout d’abord dans le poète de la Divine Comédie, c’est, dit-il : « le républicain, le tribun, qui a combattu pour la liberté morte »… Tous les jours plus nettement, il sent se préciser en soi la conviction que le poète a désormais une mission sociale à remplir. Il est si pénétré de cette pensée, qu’après avoir étudié l’allemand avec persévérance, il se désaffectionne momentanément des livres d’Outre-Rhin « parce qu’ils détachent les jeunes générations du contact social, et les énervent dans une inutile mysticité. »

C’est le temps où il ne se console point que Shéridan « cet auteur étincelant, sarcastique, politique, profond » n’ait pas porté sur le théâtre, le prestige de ses œuvres parlementaires, et « dramatisé les idées réformatrices qu’il exaltait de sa nerveuse éloquence ».

En somme, à cette minute, Leconte de Lisle souffre, jusqu’au cri, de l’impuissance où il est d’extérioriser le génie qu’il sent gronder en soi. Il se demande s’il aboutira dans l’art ou dans la politique pure, ou dans un mélange d’action et de poésie ? Il médite de publier une pièce de vers sur le « Paupérisme ». Il expose à ses amis que la formule de la charité ne le satisfait plus. Avec Sand, avec les humanitaires de son temps, il tient pour « le droit du pauvre ». Il formule, ici, là, en prose et dans des vers encore puérils, les pensées qui, plus tard prendront corps dans son : Dies Irae. Il se demande « pourquoi les vains labeurs ? » Il sent que « l’air du siècle est mauvais aux esprits ulcérés ». Tous les jours, sa pensée se penche davantage vers ceux dont il entend monter les voix qui appellent et qui gémissent, avec eux, il s’écrie :