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Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/125

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L’ACTION

citation passagère d’un milieu, c’est bien le fond de sa pensée réfléchie. Quelques semaines plus tard, il s’écrie :

« … Avec quelle joie je descendrais de la calme contemplation des choses pour prendre ma part du combat et voir de quelle couleur est le sang des lâches et des brutes. Les temps approchent à grands pas. Plus ils avancent, plus je sens que je suis l’enfant de la Convention et que l’œuvre de mort n’est pas finie…[1] »

La pensée qu’une fois de plus il sera nécessaire de baptiser les idées dans le sang, le hante. Il y réfléchit à l’écart des autres, il médite cette conviction, et en 1857, il publie une étude, sur l’Inde française, où, à propos des événements qui ont fait tomber Lally-Tollendal du faîte de la fortune au billot, il prononce ces paroles significatives :

« … De nos jours, on qualifie volontiers d’acte inique le coup qui l’a frappé. Cependant il faut opter entre la responsabilité humaine et l’enchaînement fatal des faits historiques. D’ailleurs, tout n’est-il pas fondé sur le dogme sanglant de l’expiation ? »

Il profita de la première occasion qui s’offrit, pour montrer comment il entendait mettre ses actes d’accord avec ses principes. Le 25 janvier 1848, quatre jours après l’abdication de Louis Philippe, les délégués, que les Colonies des Antilles et de la Réunion avaient à Paris, adhérèrent à la République, mais ils n’allaient pas jusqu’à prendre l’initiative d’une proposition de l’abolition de l’esclavage. Ils savaient qu’une telle mesure ruinerait leur crédit auprès de leur clientèle. Cette attitude indigna les jeunes créoles qui faisaient leurs études à Paris. L’un d’eux se mit à la tête du mouvement. C’était Charles Leconte de Lisle.

Il le savait, la mesure qu’il rêvait de faire aboutir, allait ruiner les siens. Il souffrit de cette nécessité, mais elle ne l’arrêta pas plus que la certitude, qu’après une telle algarade, sa

  1. Lettre à Louis Ménard, septembre 1849.