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Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/126

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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

famille allait tout d’abord, supprimer la faible pension dont, en somme, il vivait. C’est que cette question de l’esclavage dominait chez lui, non seulement les questions d’intérêt, mais encore tous les sentiments affectueux, voire le respect et la gratitude filiale. Il se fut méprisé si une considération quelconque avait pu l’empêcher d’accomplir, en une telle occasion, ce qu’il considérait comme son devoir absolu.

Il invita donc ses camarades créoles à une réunion qui fut présidée par M. Henri de Guigné. Leconte de Lisle y prit la parole, écarta les objections, enflamma les ardeurs, rédigea une lettre d’adhésion au Gouvernement provisoire. Après que les assistants l’eurent signée, il la porta lui-même à l’Hôtel de Ville[1].

Charles Leconte de Lisle ne devait pas tarder à recevoir, de Bourbon, la réponse que son attitude avait provoquée. Il était traité par son père : « d’assassin de la patrie », on l’informait en même temps que sa pension était supprimée. Sa famille rompait avec lui toute relation.

Il s’en consola en pensant que, le 21 avril, le Gouvernement provisoire avait décrété l’abolition de l’esclavage et que désormais il appartenait tout entier à l’action. À ce moment l’esprit de la Révolution animait beaucoup de jeunes cerveaux effervescents et humanitaires. Leconte de Lisle réunissait autour de lui un cénacle littéraire et robespierriste composé de Louis Ménard, Paul de Flotte, Bermudez de Castro, Thalès Bernard, Benezit, Fage, Lacaussade, Rabian…

  1. Cette adresse commençait par ses mots : « Les soussignés, jeunes créoles de la Réunion, présents à Paris, viennent apporter leur adhésion complète, sans arrière-pensée, au Gouvernement de la République. Nous acceptons la République dans toutes ses conséquences. L’abolition de l’esclavage sera décrétée, et nul français n’applaudit plus énergiquement que nous, jeunes créoles de l’île de la Réunion, à ce grand acte de justice et de fraternité que nous avons toujours devancé de nos vœux… » Ces lignes étaient signées par Leconte de Lisle, E. Vinson, Lacaussade, G. Bédier, Lapervenche, Dubourg, A. Reilhac, Martin, Boursault, Barbaroux, Simon Laprade, R. Roer, etc.