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L’ACTION

Un critique a caractérisé, d’un mot heureux, l’état d’esprit ou Leconte de Lisle se trouvait à ce moment. Il le dit : « Un révolutionnaire cérébral[1]. » Le fait est que le jeune créole n’était guère préparé aux luttes politiques. Généreux, habitué à vivre dans la sphère des idées, il devait se heurter nécessairement, dans le domaine des faits, à tous les pièges dont sa nouvelle route serait hérissée.

Ne fallait-il pas être poète, en effet, pour consentir à aller représenter les « Comités Révolutionnaires » en Bretagne, avec les instructions qu’on lui avait mises en poche ?

Il s’agissait d’assurer, aux prochaines élections de la Constituante, une représentation républicaine. Le « Club Central »[2], dont Leconte de Lisle faisait partie, ne doutait pas que Paris donnât l’exemple du civisme ; mais on se méfiait de la province ; on y voulait envoyer, secrètement, des républicains éprouvés, afin d’agir sur l’esprit des populations, de stimuler les tièdes, de soutenir les ardents, de surveiller les réactionnaires.

On savait que, dans le temps où Leconte de Lisle faisait ses études en Bretagne, il avait un peu battu le pays : on en conclut qu’il était l’homme du monde le plus propre à porter la bonne nouvelle, dans la banlieue de Dinan.

Au moment d’accepter cette mission, le jeune créole apparaît, comme à l’ordinaire, travaillé de scrupules : Il est bien sûr qu’il est, avec ses amis, en possession de la vérité sociale et politique, mais il répugne à ses habitudes philosophiques, d’apporter cette vérité-là, comme un dogme indiscutable, aux populations ignorantes vers lesquelles on le députe. Il se réconforte en lisant, dans les fameuses « Instructions » qu’on lui a mises dans les mains — et que le chimérique Laugier à rédigées — ces considérations utopiques :

  1. Cf. Calmette : Leconte de Lisle et ses amis.
  2. Le Club Central, fondé en 1848, siégeat au Palais-National. M. Romain en était le président ; en faisaient partie le peintre Jobbé Duval ; Paul de Flotte ; Jacquemart ; etc.