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LA CONCEPTION DE L’AMOUR

devenu pâle comme un de ces hommes de mauvaise mine qu’où appelle des poètes ![1] »

Ce n’était pourtant pas l’Ève tropicale qui devait le conquérir définitivement et fixer son rêve. Très tôt le goût de la beauté vaporeuse, blonde, se dégage pour lui de la séduction des brunes splendides au milieu desquelles il a grandi. Déjà l’exquise vision qui passe dans Le Manchy a des regards de « sombre améthyste », c’est-à-dire des yeux bleus rapportés de France ; ses boucles « dorent » l’oreiller, car Mademoiselle de Lanux est, comme son cousin Charles, d’origine celtique.

Lorsqu’il passe par le Cap, à dix-neuf ans, le cœur du poète tombe en arrêt devant une jeune fille hollandaise, « très blonde, enveloppée de mousselines » qui, le soir, s’asseoit près de lui, devant un clavecin.

Dès son arrivée en Bretagne, il fréquente assidûment les salons de Dinan pour le plaisir d’y rencontrer des jeunes filles dans lesquelles il retrouve ces grâces virginales du Nord dont il est ataviquement épris :

« Hier, je fus invité par un Anglais, M. Robinson, à un bal auquel je ne manquai pas, et là, je vis la créature la plus gracieuse, la plus noble qu’un œil ait jamais contemplée…[2] »

Ce qui le frappe surtout chez cette jeune fille — elle s’appelle Mlle Caroline Beamish — c’est « son inexprimable bonté » ; il déclare que sa physionomie a tant de charme et de candeur « qu’il est impossible, à moins d’être de fer, de ne pas lui dire en pliant les genoux : »


« Douce créature dont la grâce divine
Suffit pour consoler les humaines douleurs
Dont l’âme, rappelant sa céleste origine
Se penche avec bonté sur nos âmes en pleurs…[3] »


  1. Démocratie Pacifique, 1847.
  2. Lettre de Dinan, i838.
  3. Ibid.