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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

Le lendemain du jour où il vient de traiter ainsi la jeune fille « d’ange, » de « séraphin », il compose des pièces de vers pour la sœur de Mlle  Caroline, Miss Mary. Il lui répète les mêmes choses, à peu près dans les mêmes termes, car ce n’est pas d’une personne particulière, mais d’un type qu’il est amoureux :


« On lui dirait des ailes
Quand son doux corps se perd dans la vapeur du soir,[1] »


Plus tard, il évoquera encore ces poétiques figures de vierges blondes pour dresser, dans l’écume de l’Océan, sur le socle des roches celtiques, l’image hiératique de la druidesse :


« La pâle Uheldeda prophétesse de Sein
Le front haut, grande, les yeux sévères… »


On peut dire que si le cerveau de Leconte de Lisle est fait de telle sorte que tous les types [de la beauté féminine l’attirent, sa nature de celte, demeure attachée à ces vierges, aux cheveux et au regard clairs, dont il a encadré les portraits avec amour, dans ses Chansons Écossaises. Il est plus charmé par leur apparence vaporeuse et un peu mystique, que par les formes pleines de ces femmes d’Orient qui roulent leurs hanches comme des berceaux.

C’est que, les créoles n’ont pas ces yeux a d’un si beau bleu » sous « l’or de la tresse fluide ». Sans doute « leur lèvre est en feu », mais le poète connaît, de l’autre côté de la terre, « des roses pourprées et toutes humides ». Il connaît la fraî-

  1. Rennes, 1838. Au mois de juillet 1839, il compose pour Mary
    Beamish une pièce de vers, Mens Blanda in corpore blando où il fait
    preuve de plus d’émotion que de maîtrise :
    « Cher ange, es-tu venue vers nous de ta Patrie
    Avec ce même nom ? Encens mélodieux
    Sourire du Seigneur. Doux ange, dans les deux,
    Te nommais-tu Marie ? »