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Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/179

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LA CONCEPTION DE L’AMOUR

cheur de fruit de « la belle aux lèvres de cerise », le doux rayonnement de la « fille aux cheveux de lin » qui chante, assise sur la luzerne en fleur. Et il avoue, décidément, sa partialité pour la vierge « aux cils longs, aux boucles fines » pareille « au premier rêve » qui fleurit au fond « d’un cœur pur ». Il ne se sent tout à fait libre, qu’en face de ces Èves un peu froides, un peu coquettes, un peu énigmatiques, qui reculent le dénouement de l’amour dans du brouillard. Il s’écrie :


Ne dis pas non, fille cruelle
Ne dis pas oui ! J’entendrai mieux
Le long regard de tes grands yeux
Et ta lèvre rose, ô ma belle ![1] »


Un poète ne pouvait abriter dans son cerveau et dans son cœur, tant de passion pour la pureté, et de défiance pour le désir, sans être un peu injuste pour la femme. Leconte de Lisle, qui adore les jeunes filles comme des fleurs que son désir visite dans des papillonnements d’ailes, en veut à la femme d’être cette chose précise, ce fruit savoureux dans le buisson, qui arrête le passant, lui donne le vertige de le cueillir de le goûter. Et comme il est intimement persuadé que l’arrière goût de ce fruit-là est amer, que la soif de celui qui y touche s’accroît au lieu de s’apaiser, son sourcil se fronce devant la femme.

Aussi, dans ses poèmes, évoque-t-il presque toujours la femme sous les traits de la courtisane aux aguets, lorsqu’il ne la montre pas traîtresse, ou cynique, ou féroce.

Voici la « Persane royale » : elle repose, immobile, sous les treillis d’argent de la vérandah :


« Deux rayons noirs, chargés d’une muette ivresse,
Sortent de ses longs yeux entr’ouverts à demi :
Un songe l’enveloppe, un souftie la caresse


  1. « Chansons Écossaises ». Poèmes Barbares.