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LA CONCEPTION DE L’AMOUR

à la femme : Courbe la tête, toi qui est faible ; aime et souffre. Tu me dois tout et rien ne t’est dû.[1] »

Pourtant ce jour-là a duré des siècles. Or, à la même minute, il fait dire, par un de ses Ascètes, aussi mysogine que Salomon :


« … Et la femme, bien plus que la tombe est amère.[2] »


D’autre part, il se plaît à évoquer, autour du cadavre de Sigurd, la Franque Gudwina, reine des Huns, et la Burgonde Brunehilde, reine des Normands, qui se disputent, en face du mort, la palme de la douleur, alors que l’une d’elles est secrètement la meurtrière du héros.

Dans Le Conseil du Fakir[3], il a de la joie à montrer, étendue à côté de l’homme, « vieux tigre résigné qu’une enfant mène en laisse... » sa jeune femme, belle, calme, le front ceint de grâce et de noblesse, la bouche rose, l’œil pur, — et qui a décidé de faire égorger l’époux dans son sommeil.

Dans les invectives dont, en toutes circonstances, Leconte de Lisle poursuit la femme tentatrice, qui ne met, au jeu, ni son cœur ni sa sincérité, on sent comme un cri de rancune secrète. Ainsi, dans Les Paraboles de Dom Guy[4] il lui arrive de profiter de ce qu’il tient en mains une discipline de moine, pour arracher de son tombeau et pour fustiger


« Cléopâtre, avec qui le Démon fit ses œuvres,
Et qui portait, dit-on, un collier de couleuvres.
C’était une damnée effroyable en effet.
N’ayant peur de l’enfer, ni honte, elle avait fait
De son lit une auberge où s’en venait la terre
Se soûler à pleins brocs du vin de l’adultère…
… Tous étaient frappées du même aveuglement,
Cette larve et le peuple antique son amant…[5] »


  1. La Démocratie Pacifique, 1846 .
  2. « Ascètes». Revue Indépendante, 1846. Poèmes Barbares, 1884.
  3. « Le Conseil du Fakir ». Poèmes Barbares.
  4. « Les Paraboles de Dom Guy ». Poèmes Barbares.
  5. Ibid.