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LA CONCEPTION DU DIVIN

D’inaltérables Dieux, sourds aux cris insulteurs,
Du mobile Destin augustes spectateurs,
Qui n’ont jamais connu, se contemplant eux-mêmes,
Que l’éternelle paix de leurs songes suprêmes ?…[1] »


Il demande avec insistance : « Où sont les Dieux promis ? » Il s’adresse au vent, il le supplie de l’emporter vers « les Dieux inconnus ». Il veut savoir qui est Celui qui réside au sein des apparences :


« … Et se méat dans le monde et les intelligences. »
De siècle en siècle éclos, j’ai vu naître les Dieux
Et j’en ai vu mourir !…
Jeunes et vieux, cruels, indulgents, beaux, horribles…
Faits de marbre ou d’ivoire, et tantôt invisibles,
Adorés et haïs, et sûrs d’être immortels !
Et voici que le temps ébranlait leurs autels,…
Que le rire insulteur, plus amer que la mort.
Vers l’abîme commun précipitait leur sort,…
Et d’autres renaissaient de leur cendre, et toujours
Hommes et Dieux roulaient dans le torrent des jours.[2]


C’est pour célébrer cette chute perpétuelle des Dieux dans la mort irrévocable que le poète a pris plaisir à condenser, en deux cent cinquante vers, toute la cosmogonie compliquée du Nord. Les Scandinaves ont cru, en effet, qu’à la fin des temps, le paradis d’Odin serait dévoré par les Géants. Il n’en a pas fallu davantage pour que, cet amant du soleil qu’est Leconte de Lisle, s’enfonçât dans leurs brouillards et cherchât à mettre de l’ordre, sinon de la clarté, dans l’obscurité de leurs mythes.

Cependant le Dieu, dont on aperçoit le triomphe à travers la destruction de « tous les Dieux », apparaît, dans la dernière strophe du poème de Leconte de Lisle, Le Bernica, comme intangible. C’est sans doute le « Grand tout » des panthéistes

  1. « Khiron >. Poèmes Antiques.
  2. « Le Corbeau ». Poèmes Barbares.