Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/237

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
223
LA RELIGION

munion générale. Les issues sont bien closes pour que personne ne puisse s’échapper du brasier après que le feu aura été mis aux quatre coins. Cela fait, en peu de minutes, six cents victimes — six cents bien heureux dans le Ciel. Et le poète conclut :


« Que Dieu la juge en son infaillible équité…[1] »


Devant l’absurdité d’un effort d’amour qui aboutit à de telles fureurs de cruauté. Leconte de Lisle est sûr que son apostolat est le bon. Mais il semble, qu’à certaines minutes, il ait été traversé d’une inquiétude qui pourrait se formuler dans cette question : « N’y a-t-il point de l’injustice à prolonger, au-delà du moyen âge, la peinture d’un état d’esprit religieux dont la férocité médiévale fut, en dehors de la doctrine, responsable pour une part ? »

Dans les recherches qu’il fait pour calmer ce doute, qui honore sa conscience d’historien, le poète tombe sur une page du théologien, que les gens de Port-Royal ont nommé le doux Nicole. Il n’est, cette fois, plus question de Moyen-Âge. Le « doux Nicole » a été, en plein XVIIe siècle, un des maîtres du « doux Racine ». Cependant il jugea en ces termes la terre, œuvre de Dieu, habitacle de l’homme :

« … Le monde entier est un lieu de supplice… Figurons-nous un endroit vaste, plein de tous les instruments de cruauté des hommes, rempli d’une part de bourreaux, et de l’autre d’un nombre infini de criminels abandonnés à leur rage. Représentons-nous que ces bourreaux se jettent sur ces misérables, qu’ils les tourmentent tous, et qu’il y en a seulement quelques-uns dont ils ont ordre d’épargner la vie, mais que ceux-ci même, n’en étant point assurés, ont sujet de craindre la mort qu’ils voient souffrir à tout moment à ceux qui les environnent, ne voyant rien en eux qui les en distingue… Et cependant la foi nous expose un bien autre

  1. « Un Acte de Charité ». Poèmes Barbares.