Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/238

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
224
ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

spectacle devant les yeux, car elle nous fait voir les démons, répandus par tout le monde, qui tourmentent et affligent les hommes de mille manières, et qui les précipitent, presque tous, premièrement dans les crimes, et ensuite dans l’enfer et dans la mort éternelle… »

On imagine aisément quelle impression put produire, sur la sensibilité frissonnante de Leconte de Lisle, de pareilles visions de géhenne. Il lui parut que leur horreur moyen âgeuse était indestructiblement liée à la culture chrétienne, particulièrement à la culture catholique, et il écrivit comme conclusion de sa pensée sur ce sujet essentiel, ces lignes qui sont une des professions les plus nettes et les plus passionnées de son Histoire populaire du Christianisme :

« Le christianisme, tel qu’il est compris aujourd’hui, condamne la pensée, anéantit la raison. Il nie, combat, toutes les vérités successivement acquises par la science. Il est inintelligible dans ses dogmes, arbitraire, variable, indifférent en morale. L’humanité a perdu la foi qu’elle avait en lui et, il ne peut plus inspirer, que cette sorte de respect qu’on porte aux vieilles choses dont on s’est longtemps servi. C’est un objet d’art, puissamment conçu, vénérable par son antiquité, et dont la place est marquée dans le musée religieux de l’histoire[1]. »

  1. Cf. Histoire populaire du Christianisme, 1871. Seize ans plus tard, dans son discours de réception à l’Académie française, revenant, à propos de la Légende des Siècles de Hugo, sur son appréciation de la vie religieuse et féodale à l’époque médiévale, Leconte de Lisle ne craignit pas de dire sous la Coupole : « Les noires années du moyen âge, années d’abominable barbarie, avaient amené l’anéantissement presque total des richesses intellectuelles héritées de l’antiquité, avilissant les esprits par la recrudescence des plus ineptes superstitions, par l’atrocité des mœurs, par la tyrannie sanglante du fanatisme religieux… » (1887).