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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

Chair neuve, âme sans tache, et dans leur pureté !
Étant comme un arôme et comme une clarté !
Le Père à barbe grise et la Mère Joyeuse
Saluaient dans leur cœur cette aube radieuse,
Ce matin d’innocence après la vieille nuit,
Apaisant ce qui gronde et charmant ce qui nuit…[1] »


Ce n’est pas forcer l’importance d’une nuance que de dire : il y a eu des minutes où, entre la divine vocation du Christ et la vocation du poète, Leconte de Lisle a cru sentir une parenté. Il retrouvait en soi cette possibilité de souffrir pour une Idée, et de succomber afin qu’elle vive, dont le passage du Christ sur la terre est le plus éclatant symbole. Quand Leconte de Lisle descendait dans son cœur, il y trouvait la religion de la Beauté, la volonté désintéressée de faire progresser son culte sur la terre ; il ne mettait pas cette passion au-dessus de l’amour de la Vérité.

Il avait un sourire de compréhension sur les lèvres quand il évoquait Jésus au berceau, écartant Satan, avec toutes les promesses des triomphes terrestres, afin de retenir seulement, pour son idéal, les chances de l’immortalité :


« … Tu ne tenteras point le Seigneur Dieu, Maudit !
Ta puissance est fumée, et ta force est mensonge ;
Et j’ai mieux : les trois Clous, et la Lance, et l’Éponge ![2] »


Ce lien d’intimité morale, entre le Rédempteur, qui voulait être crucifié pour restaurer la Justice, et le poète, qui voulait souffrir pour la Beauté méconnue, semble d’autant plus naturel que, à travers les variations dont Leconte de Lisle vécut, en ce qui touche à l’idée de Dieu, son opinion, en ce qui concerne la personnalité humaine ou divine du Christ, fut très vite et définitivement arrêtée. Les études théologiques qu’il avait faites, avec sa passion d’historien désireux

  1. « Les Paraboles de Dom Guy ». Poèmes Barbares.
  2. Ibid.