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Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/259

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LA CONCEPTION POLITIQUE

que le poète écrit tout de suite après son Histoire du Christianisme, on ne trouve plus trace de satire. Il n’y a pas moyen, quand on passe de la lecture d’un de ces ouvrages à l’autre, de n’être pas surpris de la différence de ton qui y régne.

Il semble que, au seuil de ce livre, comme au seuil de la Révolution, le poète s’arrête avec respect, — tel un dévot sous le porche d’une église. Il compose sa figure, il discipline son maintien, dans un sentiment de piété pour le sujet qu’il va aborder. On dirait que, pour cet ennemi du « dogme » religieux, qu’est pourtant Leconte de Lisle, la Révolution est un « dogme » qu’il reconnaît. Mais il n’admettrait point qu’on lui parlât d’inconséquence : il est persuadé que ce dogme, devant lequel il s’incline comme devant l’œuvre la plus haute de la raison humaine, n’en est pas un. Avant que personne ait prononcé, à propos de la Révolution le mot de « bloc » Leconte de Lisle sent et déclare qu’il faut « l’aimer en bloc ». Cependant, autant elle le séduit par ses conceptions absolues, et son parti pris de traiter toutes les questions de principe avec une rigueur géométrique, autant il est secrètement blessé, dans cette sensibilité frissonnante dont nous avons relevé tant de marques, par la nécessité où la Révolution juge qu’elle est contrainte de faucher tout ce qui lui résiste. Afin de ne pas donner son sentiment sur ces excès affreux, Leconte de Lisle décide qu’il s’interdira ici la faculté de louer ou de blâmer. Il se bornera à exposer les faits dans une nudité totale. Il appliquera, à ces pages de prose, la méthode parnassienne qui interdit à l’auteur d’intervenir personnellement dans le récit.

Mais, quelqu’effort qu’il fasse pour s’enfermer dans cette discipline, on peut s’apercevoir, par-ci par-là, à une épithète, à une vigueur d’expression particulièrement heureuse, aux cris échappés à son esprit de justice, que, celui qui a écrit ces lignes est un artiste, épris de formes splendides, de rutilances de style, passionné pour la ligne, l’harmonie, les couleurs — hanté du respect de la personne humaine :