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Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/292

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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

tuels n’a le sens de cette transformation magnifique : ils sont trop bêtes et trop ignorants…[1] »

Les nombreux poèmes, dans lesquels Leconte de Lisle a étudié les diverses théogonies, pour les opposer les unes aux autres, les compléter les unes par les autres, sont la preuve de ses loyales préoccupations, et de la crainte il était de laisser échapper, en cette matière, une parcelle des vérités qu’il aurait pu saisir.

Ainsi, quand le hasard d’une lecture fait tomber, par exemple, sous ses yeux, une légende taïtienne, accidentellement recueillie par un voyageur[2], il va aux sources, il s’impose de descendre au fond de cette poésie bégayante pour en saisir le sens secret ; il lui donne autant d’importance qu’à un fragment d’Hésiode sur l’origine des Dieux ; il la vêt, en la traduisant, d’une égale splendeur de beauté[3].

Il a, pour peindre les races qui tournent autour de la surface de la terre, des expressions de poète dont la science peut s’enrichir. Il avoue ses préférences pour une date particulière de cette évolution qui emporte tout avec soi. Il s’écrie : « … Je suis trop vieux de trois mille ans au moins, et je vis, bon gré mal gré, au xixe siècle de l’ère chrétienne[4] ! »

Mais, il ne veut pas que ses préférences et ses regrets apparaissent comme la folle volonté d’arrêter, à une minute de son choix, la pensée humaine dans sa course sans fin.

« … Qu’on se rassure, l’étude du passé n’a rien d’exclusif, ni d’absolu. Savoir n’est pas reculer. Donner la vie idéale à qui n’a plus la vie réelle n’est pas se complaire stérilement dans la mort. La pensée humaine a ses heures d’arrêt et de réflexion. »

Pour contempler ce grondement de la vie qui, tantôt s’écoule avec les violences d’un torrent déchaîné, tantôt filtre

  1. Lettre à Louis Ménard, 27 octobre 1849.
  2. « M. J. A. Moerenhout ». Voyages aux Îles du Grand Océan, 1837.
  3. « La Genèse Polynésienne ». Poèmes Barbares.
  4. Préface des Poèmes et Poésies, 1852.