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Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/293

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LA CONCEPTION PHILOSOPHIQUE

comme un mince filet d’eau entre des pierres arides, Leconte de Lisle a dû s’élever jusqu’à ces « Temples sereins » dont parle Lucrèce, jusqu’à la paix de ces « Sages », que l’auteur de Dies Irae nous montre, couchés sous les sacrés portiques possédant le calme souhaité, et regardant :


« Les époques d’orage et les temps pacifiques
Rouler, d’un cours égal, l’homme à l’éternité.[1] »


Mais si jamais l’imagination du poète lui fournit vraiment une image qui l’ait satisfait, et dans laquelle il ait aperçu, réfléchie comme dans un miroir, cette loi de l’évolution, ce fut, lorsque le spectacle évoqué de la Forêt Vierge surgit, dans son souvenir, avec ses alternatives de mort apparente et d’explosion de vie. Après les longues résistances qu’elle a opposées à toutes les destructions, il la voit, cette forêt bien aimée, tombant enfin sous la hache de l’homme : « ce vermisseau plus frêle que les herbes. » Mais au moment où, toute entière, elle s’écroule en gémissant, il lui promet sa revanche. De la souche archaïque elle rejettera, triomphante de l’homme périssable, elle reverdira entre les débris des colonnes et les murs en ruine des propylées :


« … Dans la profonde nuit où tout doit redescendre :
Les larmes et le sang arroseront ta cendre,
Et tu rejailliras de la nôtre, ô forêt.[2] »


Il en va des idées éternelles, comme de cette verdeur des souches qui rajeunissent. Leconte de Lisle ne sépare point, dans sa pensée, l’évolution des choses et l’évolution des idées.

C’est ainsi qu’il aperçoit Hypatie, cette vierge païenne dans l’amour de laquelle il s’est complu, comme la prophétesse de ce qui est éternel, dressée au milieu du torrent de ce qui passe.

  1. « Dies Irae ». Poèmes Antiques.
  2. « La Forêt Vierge ». Poèmes Barbares.