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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

Comme Leconte de Lisle, Hypatie sait que les idées ne surgissent pas de terre spontanément, toutes armées et casquées, telles des apparitions mythologiques. Elle les voit comme des germes qui ont eu leur lente incubation dans le passé, qui ont leur épanouissement dans le présent, ou qui l’auront dans l’avenir :


« Jean n’a-t-il point parlé comme autrefois Platon ?…
C’est toujours un Dieu qui parle dans les sages…
Et j’entends, comme aux jours d’Homère et de Virgile
Les sons qui m’ont bercée, expliquer l’Évangile…[1] »


Pas plus que Leconte de Lisle, Hypatie ne peut croire à l’éternelle durée de la nouvelle religion : tout ce qui est humain en elle s’usera, périra, sera emporté, grain à grain, par le flot de l’évolution, comme l’a été déjà, tout ce qu’il y avait de périssable, dans les autres religions :


« … Demain, dans mille années,
Dans vingt siècles — qu’importe au cours des destinées !
L’homme étouffé par vous enfin se dressera :
Le temps vous fera croître et le temps vous tuera :
Et, comme toute chose humaine et périssable,
Votre œuvre ira dormir dans l’Ombre irrévocable !…[2] »


On remarquera que le poète philosophe écrit ici le mot « ombre » pour le mot « néant ». Il est évident que sa claire raison se heurte, comme celle de tout penseur loyal, à l’irréductible difficulté d’accorder les idées de cause et d’effet — qui se dégagent du spectacle de l’Évolution et des sommations de la Raison humaine, — avec cette passion pour le Néant, où il se réfugie, comme vers un gouffre de total oubli où ses ailes, épuisées, le laissent tomber du ciel.

Aussi bien, lorsqu’on a cherché à serrer de près l’idée poétique que Leconte de Lisle se forma de la Mort, on a

  1. « Hypatie et Cyrille ». Poèmes Antiques.
  2. « Hypatie et Cyrille ». Poèmes Antiques.