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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

forcées, des rimes moins que suffisantes, du vague de la pièce. » Et ce n’était pas seulement aux productions de son ami qu’il avait songé, en formulant cette critique, mais aux vers que, lui-même, il écrivait « sous l’influence d’idées inconscientes d’abord, réfléchies ensuite… »

Le jour où il était sorti de cette «inconscience, » il ne s’était plus contenté des élans lyriques dans lesquelles se soulagent tous les enthousiasmes de jeunesse. Il avait rêvé d’enfermer sa pensée dans une formule précise :

« La poésie, dit-il alors, c’est l’inspiration créatrice et spontanée, le sentiment inné du grand et du vrai… La poésie est trois fois générée, par l’intelligence, par la passion, par la rêverie. L’intelligence et la passion créent les types qui expriment des idées complètes. La rêverie répond au désir légitime qui entraîne vers le mystérieux et l’inconnu…[1] » « La poésie est l’expression éclatante, intense et complète de l’Art.[2] »

Ces citations correspondent, sans doute, à la vision générale que Leconte de Lisle avait apportée de la poésie, en naissant. Elles précisent le don particulier qu’il développa en lui, et qui fut le lyrisme épique.

« La part propre de Leconte de Lisle dans l’évolution de la poésie contemporaine, a écrit Brunetière, est d’y avoir réintégré le sens de l’Épopée.[3] »

Pour ce qui est du don lyrique, nul, en dépit d’une feinte

  1. Préface des Poèmes et Poésies, 1852.
  2. Avant-Propos aux critiques du Nain Jaune, 1864.
  3. Dans son petit traité de Poésies françaises, Théodore de Banville parlant des Poèmes Barbares de Leconte de Lisle a dit qu’ils sont : « les plus parfaits modèles de ce que pourra être aujourd’hui le style épique ». Il ajoute à propos de Qaïn : « Un tel exemple en dit plus que toutes les théories possibles. Le tableau superbe et grandiose est décrit et vu, comme aurait pu le voir, un géant des premiers jours du monde, et le poète ne l’a pas déparé par un seul trait moderne qui eut fait évanouir l’illusion. Là est le salut de l’Épopée. Je crois fermement qu’elle est encore possible pour un poète de génie — car aujourd’hui seulement nous savons ce qui ne doit pas être un poème épique… »