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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

Mais Çunacepa n’est point mûr pour tant de détachement. Il secoue la tête quand le sage affirme :


« Va ! le monde est un songe et l’homme n’a qu’un jour,
Et le néant divin ne connaît pas l’amour…[1] »


Ce n’est point le néant, que le jeune homme veut posséder à cette heure, c’est la vie, avec cette illusion qui, pour lui, s’appelle l’amour de Çanta. Et Çanta partage le rêve de son jeune amant. Elle trouvera, dans sa douleur, des accents si pathétiques, que le cœur endurci de l’ermite, à la fin, en sera touché.


« J’entends chanter l’oiseau de mes jeunes années,
Dit-il, et l’épaisseur des forêts fortunées
Murmure comme au jour où j’étais homme encore…[2] »


L’ascète accepte que la jeunesse, qui n’a pas encore passé par les affres de l’épreuve, ne puisse choisir le renoncement où lui-même il se complaît. Il indique à ces enfants qui sont venus le consulter, ie moyen de faire échapper Çunacepa au sacrifice.

Çunacepa a foi dans la parole du sage. Il prie au pied du poteau où on l’a lié pour le frapper par le fer. Et, à la dernière seconde, un étalon, tombé du soleil vient se substituer à la victime humaine, tout comme ce bouc qui sort du buisson à la minute où Abraham lève le couteau, afin de sacrifier son fils[3].

À côté de livres sacrés comme le Ramayana, l’Inde possède un certain nombre de recueils de formation poétique qui, pour les dévots hindous, sont quelque chose de pareil à nos livres rituels de culte, l’équivalent de notre « parois-

  1. « Çunacepa ». Poèmes Antiques.
  2. Ibid.
  3. L’Arc de Siva est un autre emprunt fait par Leconte de Lisle aux livres du Ramayana. À la date où il composait cette pièce, les savants s’accordaient à voir, dans Rama, une forme hindoue de l’Hercule grec. L’aventure qui a pour titre : L’Arc de Siva apparaissait