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CORRESPONDANCE DE DOSTOÏEVSKI

n’avions pas vu Shidlovsky depuis longtemps. Aujourd’hui seulement nous avons passé une heure avec lui dans la cathédrale de Kazan. Nous en avions bien envie, surtout avant l’examen. Shidlovsky et Coronade Philipovitch voue saluent. Au revoir, jusqu’à la prochaine lettre.

Nous avons l’honneur d’être vos fils qui vous aiment toujours.

Michel et Théodore Dostoïevski.


À son frère Michel Dostoïevski.
Saint-Pétersbourg, 9 août 1838.

Combien ta lettre m’a surpris, cher frère, est-il possible que tu n’aies pas reçu un mot de moi ? Depuis ton départ je t’ai expédié trois lettres : la première bientôt après ton départ ; à la seconde je n’ai pas répondu, parce que je n’avais pas le sou (je n’ai pas emprunté chez les Merkourov). Cela a duré jusqu’au 20 juillet quand j’ai reçu de notre père 40 roubles. Et enfin, dernièrement, la troisième. Donc, tu ne peux te vanter de ne pas m’oublier et d’écrire plus souvent que moi. Donc, moi aussi j’ai toujours été fidèle à ma parole. Il est vrai que je suis paresseux, très paresseux. Mais que faire quand dans ce monde je ne suis destiné qu’au désœuvrement complet ! Je ne sais si jamais mes tristes idées pourront disparaître ?

L’homme n’a eu en partage qu’un seul état d’âme : le ciel et la terre se confondent pour créer une atmosphère à son âme ; l’homme est un enfant créé en contradiction avec la loi ; car la loi de la nature spirituelle est transgressée… Il me semble que notre monde est le purgatoire des esprits célestes qu’une pensée coupable aurait troublés. Il me semble que le monde a pris une signification négative et qu’une spiritualité élevée et délicate est devenue satire. Que dans ce tableau se place un personnage ne partageant ni l’effet ni l’idée du tout, un personnage totalement étranger, qu’adviendra-t-il ? Le tableau sera gâté et ne saurait exister !

Mais voir la vulgaire écorce sous laquelle languit l’univers, savoir qu’il suffirait d’un seul élan de volonté pour la briser et se confondre avec l’éternité, le savoir… et rester