Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 1.djvu/107

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atteignit presque le sinciput. Élisabeth tomba roide morte. Ne sachant plus ce qu’il faisait, Raskolnikoff prit le paquet que la victime tenait à la main, puis il l’abandonna et courut à l’antichambre.

Il était de plus en plus terrifié, surtout depuis ce second meurtre qui n’avait été nullement prémédité par lui. Il avait hâte de s’esquiver ; si alors il avait été en état de se rendre mieux compte des choses, s’il avait seulement pu calculer toutes les difficultés de sa position, la voir aussi désespérée, aussi laide, aussi absurde qu’elle l’était, comprendre combien il lui restait encore d’obstacles à surmonter, peut-être même de crimes à commettre pour s’arracher de cette maison et rentrer chez lui, il aurait très-vraisemblablement renoncé à la lutte et fût allé sur-le-champ se dénoncer ; ce n’est même pas la pusillanimité qui l’y aurait poussé, mais l’horreur de ce qu’il avait fait. Cette impression allait se fortifiant de minute en minute. Pour rien au monde il n’aurait voulu à présent s’approcher de la caisse, ni même rentrer dans l’appartement.

Cependant peu à peu son esprit se laissa distraire par d’autres pensées, et il tomba dans une sorte de rêverie ; par moments l’assassin semblait s’oublier ou plutôt oublier le principal pour s’attacher à des niaiseries. Du reste, un regard jeté dans la cuisine lui ayant fait découvrir sur un banc un seau à demi rempli d’eau, il eut l’idée de laver ses mains et sa hache. Le sang rendait ses mains gluantes. Après avoir plongé dans l’eau le tranchant de la hache, il prit un petit morceau de savon qui se trouvait sur l’appui de la fenêtre et commença à faire ses ablutions. Quand il se fut lavé les mains, il se mit en devoir de nettoyer le fer de son arme ; ensuite, il passa trois minutes à savonner le bois qui avait aussi reçu des éclaboussures de sang.

Puis il essuya le tout avec un linge qui séchait sur une corde tendue à travers la cuisine. Cette besogne terminée, il