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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

qui parle, non plus vaincue, mais victorieuse du Christ.

L’armée de Rome, je le répète, a une vision trop nette des choses pour ne pas voir où se trouve la vraie force, celle sur laquelle il convient de s’appuyer. Après avoir perdu ses royaux alliés, le catholicisme va se rejeter sur Démos, sur le peuple. Il possède d’adroits négociateurs, habiles à scruter le cœur humain, de fins dialecticiens et confesseurs, — et le peuple a toujours été simple et bon. Or, en France surtout, on connaît mal l’esprit de l’Évangile, et les habiles psychologues romains apporteront aux Français un Christ nouveau qui consentira à tout, un Christ proclamé au dernier concile impie de Rome : « Oui, mes amis, diront ces psychologues, toutes les questions dont vous êtes préoccupés sont traitées dans ce livre que vos meneurs vous ont volé et si, jusqu’à présent, nous ne vous avons pas révélé cette vérité, c’est que vous étiez un peu trop comme de petits enfants. Il n’était pas temps de vous tout dévoiler ; mais voici l’heure venue de l’initiation : sachez que le pape possède les clefs de saint Pierre et que la foi en Dieu c’est la foi en le pape qui tient, en ce monde la place de Dieu. Il est infaillible, un pouvoir divin lui est accordé ; il est maître du temps et des destinées. Vous avez cru jusqu’à présent que la première vertu chrétienne était l’humilité, mais le pape à changer tout cela, ayant tout pouvoir. Oui, vous êtes tous frères ; le Christ lui-même l’a dit ; si vos frères ne veulent pas vous admettre chez eux comme frères, prenez des bâtons, entrez de force dans leurs maisons et contraignez-les à la fraternité. Le Christ a attendu longtemps que vos frères aînés, les débauchés, fissent pénitence, et maintenant il vous autorise à crier : Fraternité ou la mort ! Si votre frère ne veut pas partager avec vous ses biens, prenez-lui tout, parce que le Christ est las d’attendre son repentir et que le jour de la colère et de la vengeance est venu. Sachez encore que vous n’êtes pas coupables de vos péchés passés plus que de vos fautes future : toutes vos erreurs provenaient de votre pauvreté. Si vos chefs vous ont déjà tenu ce langage, ils l’ont fait prématurément. Le pape seul à le droit de parler ainsi. La preuve, c’est que vos chefs ne vous ont menés à rien de bon ; ils vous ont, du reste, trompés