Page:Dostoïevski - Journal d’un ecrivain.djvu/359

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
355
JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN


Quand j’eus lu cette page, je demeurai désolé. Mon Dieu ! faudra-t-il que j’aie beaucoup de lecteurs de la force de N. P., qui s’imagine que j’ai inventé mon suicidé à seule fin de le faire plaindre par lui ? Naturellement l’opinion de N. P. n’a pas une importance capitale, mais N. P. représente une catégorie d’esprits, toute une collection de Messieurs comme lui ; il est le type de ces hommes aux « opinions de fer », dont il parle dans son article ! Cette collection d’individus en fer me fait peur. Je m’inquiète peut-être trop de tout cela, mais je dois dire franchement que je n’aurais peut-être pas répondu, non par mépris, mais par manque de place, si je n’avais tenté de répondre à mes propres doutes. C’est à moi que je réponds. Ajoutons donc une morale à l’article d’octobre ; comme cela ma conscience sera tranquille.


III


DES AFFIRMATIONS SANS PREUVES


Mon article touche à l’idée la plus haute sur la vie humaine, au besoin, à l’indispensabilite de la croyance à l’immortalité de l’âme. J’ai voulu dire que sans cette croyance la vie humaine devient inintelligible et insupportable. Il me semble que j’ai énoncé clairement la formule du suicide logique.

Mon suicidé ne croit pas à l’immortalité de l’âme. Il s’explique à ce sujet dès le début de l’article. Peu à peu, en pensant que l’existence n’a pas de but, pris de haine contre l’inertie muette de ce qui l’entoure, il arrive à cette conviction que la vie humaine est une absurdité. Il devient, pour lui, clair comme le jour que ceux-là seuls, parmi les hommes, peuvent consentir à vivre, qui sont pareils aux animaux et satisfont des besoins purement