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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN
FÉVRIER




I


L’UNE DES PLUS IMPORTANTES QUESTIONS MODERNES


Il y a plus d’un an déjà que je publie ce Carnet d’un Écrivain, et mes lecteurs ont dû remarquer le soin que je prends de parler le moins possible des phénomènes courants de la littérature russe, si ce n’est quand je suis atteint d’une sorte d’enthousiasme dithyrambique. J’ai l’air de me détacher des choses littéraires, mais combien mensongère est cette attitude ! Écrivain, je m’intéresse plus que n’importe qui à tout ce qui se publie ; mais, précisément, je suis écrivain, et si j’ai le malheur d’exprimer une opinion médiocrement louangeuse, on attribuera ma façon de voir à la jalousie et à l’intérêt personnel.

Pourtant, je vais tâcher, aujourd’hui, de m’affranchir de mes scrupules. Je ne parlerai pas, d’ailleurs, tout à fait en critique littéraire. Je viens de lire une chose tellement caractéristique, tellement sérieuse, tellement grave que je ne puis plus garder le silence. Dans l’œuvre d’un écrivain artiste au suprême degré, du bellelettriste par excellence, j’ai trouvé trois ou quatre pages d’une véritable actualité, d’une importance capitale pour nos actuelles questions russes, politiques ou sociales… Je parle de quelques pages d’Anna Karénina, du comte Léon Tolstoï. De ce roman, pour commencer, je ne dirai qu’un mot. Je me suis mis à le lire, comme tout le monde, il y a déjà fort longtemps. Au début il m’a plu extrêmement ; plus tard, quelques détails d’un grand intérêt continuaient