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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

homme sérieux et honnête. (N.-B. Je cite de mémoire.) Un de ses mots les plus spirituels visait un prétendu projet de faire venir par train spécial le « spectre de Khomiakov », pour lui permettre d’assister au retour de nos troupes rentrant de Bulgarie et à la résurrection des nations slaves. On pourrait faire observer à ce Monsieur aux boucles blanches que lui-même ressemble beaucoup au spectre d’un bavard « occidental-libéral », sans doute très vénérable, mais peut-être assez bouffon.

Ce sont surtout les propriétaires terriens qui ont émigré jadis, et leur émigration continue tous les ans. Dans le nombre de ceux qui abandonnent la Russie, il est certain qu’il y a d’autres éléments que la classe des propriétaires, mais ces derniers sont en majorité. Ils haïssent la Russie, soit parce qu’il n’y a rien à y faire pour leur « sérieux et leur honnêteté », soit tout naturellement, sans causes morales, — pour ainsi dire physiquement, abominant son climat, sa campagne, ses forêts, ses paysans libérés, son histoire, — tout enfin. Ils ont emporté l’argent du rachat des serfs, mais dans l’opinion de beaucoup d’entre eux la libération du paysan était la mort de tout en Russie, de la campagne, de la propriété, de la noblesse.

Il est vrai qu’après l’émancipation, le travail rural demeura quelque temps sans organisation. C’est pour cela que les propriétaires se mirent à vendre et à vendre, et qu’une trop grande portion d’entre eux s’exila à l’étranger. Mais quelque justification qu’ils cherchent, ils ne peuvent dissimuler ni à leurs concitoyens ni à leurs propres enfants que la première cause de leur émigration a été l’attrait d’un égoïste « farniente ». Dès leur exode, la campagne russe changea de maîtres à chaque instant, perdit même son aspect, se dénuda en partie de ses forêts, et nul ne peut dire encore qui la possédera et quelle sera sa physionomie définitive. Et c’est l’avenir de la terre russe qui doit nous préoccuper le plus. Ceux à qui appartient le sol sont les maîtres de la contrée à tous les points de vue. Il en fut ainsi partout et toujours. Mais, dira-t-on, nous avons aujourd’hui des communes organisées, ce sont donc elles qui sont maîtresses de tout. Nous nous occuperons tout à l’heure de ce côté de la question. Je veux