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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

dont la présence a été une bénédiction pour tous ceux qu’il a rencontrés. Même le plus sot et le plus libertin d’entre eux part de chez nous convaincu qu’il nous a causé un bonheur inoubliable par sa venue et aura, pour si peu que cela soit, contribué à l’avancement de la Russie. On en voit qui, partis de chez eux avec l’intention de nous scruter jusqu’aux moelles, consentent à passer parmi nous plus d’un mois, espace de temps immense, car dans cette longue période un Français trouverait bien le moyen de faire et d’écrire un voyage autour du monde. Doutez après cela de la bonne foi et du zèle de l’investigateur ! Il commence par jeter sur le papier ses premières impressions sur Pétersbourg, qu’il traduit assez heureusement, puis compare nos mœurs politiques aux institutions anglaises, après toutefois avoir enseigné aux « boyards » à faire tourner des tables et à souffler des bulles de savon, ce qui, entre parenthèse, nous change un peu de l’ennui solennel de nos réunions. Alors il se décide à étudier la Russie à fond et part pour Moscou. Là, il contemple le Kremlin, devient rêveur en songeant à Napoléon, apprécie fort notre thé, loue la beauté et l’apparence de santé de notre peuple, tout en s’affligeant de la corruption prématurée et en déplorant l’insuccès de la culture européenne, trop vite introduite, et la disparition des vraies coutumes nationales. À ce propos il tombera à bras raccourcis sur Pierre le Grand, et, sans trop grande transition, nous mettra au courant de sa propre biographie pleine d’aventures étonnantes. Tout peut arriver à un Français sans qu’il en éprouve, du reste, le moindre mal. Là-dessus il donnera un conte russe, un conte vrai, bien entendu, fait avec des morceaux de vie russe pris sur nature et intitulé : Pétrouchka. Ce récit aura deux mérites : Premièrement il dépeindra parfaitement des mœurs qui peuvent à la rigueur s’observer en Russie ; secondement il donnera tout aussi bien une idée de mœurs et coutumes des îles Sandwich.

En passant, notre voyageur daignera jeter un coup d’œil sur la littérature russe : il nous parlera de Pouschkine et remarquera complaisamment que c’était un poète non sans talent, tout à fait national et qui… imi-