cherche pas à te tromper, car j’ai toujours été sincère avec toi. Jamais je ne t’ai caché ma manière de voir à ce sujet, et je t’ai toujours dit que ton mariage avec elle causerait infailliblement sa perte. À toi aussi il sera fatal… peut-être encore plus qu’à elle. Si vous vous brouilliez de nouveau, j’en serais fort content, mais personnellement je ne ferai rien pour vous désunir. Sois donc tranquille et ne me soupçonne pas. D’ailleurs, tu sais toi-même si j’ai jamais été ton rival dans le sens véritable du mot, même quand elle s’est réfugiée auprès de moi. Voilà que tu ris ; je sais ce qui te fait rire. Oui, nous avons vécu là-bas, séparés l’un de l’autre, habitant chacun une ville différente, et tu es parfaitement instruit de tout cela. Je t’ai déjà expliqué que « je ne l’aime pas d’amour, mais de compassion ». Je crois la définition exacte. Tu m’as dit alors que tu comprenais ces mots ; est-ce vrai ? Les as-tu compris ? Quelle expression de haine il y a dans ton regard ! Je suis venu pour te mettre l’esprit en repos, car toi aussi, tu m’es cher. Je t’aime beaucoup, Parfène. Maintenant, je m’en vais et je ne reviendrai jamais. Adieu.
Le prince se leva.
Rogojine ne bougea point de sa place.
— Reste encore avec moi, dit-il doucement en appuyant sa tête sur sa main droite : — je ne t’ai pas vu depuis longtemps.
Le visiteur s’assit. La conversation fut momentanément interrompue.
— Quand tu n’es pas devant moi, je me prends aussitôt à te haïr, Léon Nikolaïévitch. Durant ces trois mois que j’ai passés sans te voir, j’étais à chaque instant furieux contre toi, et je t’aurais volontiers empoisonné. C’est la vérité. Maintenant, il n’y a pas un quart d’heure que tu es avec moi, et déjà toute ma haine disparaît, tu me redeviens aussi cher qu’autrefois. Reste donc encore un moment…
— Lorsque je suis avec toi, tu me crois, mais je ne t’ai pas plutôt quitté que le soupçon succède chez toi à la con-