Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/370

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l’opinion publique ; c’est ce que nous faisons, en garantissant au lecteur l’exactitude de tous les détails que nous venons de raconter ».

Quand Kolia eut fini, il passa vivement le journal au prince ; puis, sans dire un mot, il courut se cacher dans un coin et couvrit son visage de ses mains. Un inexprimable sentiment de honte s’était emparé de lui ; son âme enfantine, peu familiarisée encore avec les turpitudes humaines, était révoltée au delà de toute mesure. Il lui semblait qu’il venait de se passer quelque chose d’extraordinaire, une catastrophe subite, et que lui-même en était presque la cause, par cela seul qu’il avait lu tout haut ce factum.

Mais tous les autres paraissaient éprouver une impression du même genre.

Les demoiselles se sentaient gênées et honteuses. Élisabeth Prokofievna, violemment irritée, s’efforçait de se contenir ; peut-être aussi regrettait-elle amèrement son intervention dans l’affaire ; à présent elle gardait le silence. Chez le prince s’était produit ce qui a lieu souvent en pareil cas chez les gens très-timides : la conduite d’autrui lui causait une telle honte, il était si humilié pour ses visiteurs, que dans le premier moment il n’osa même pas les regarder. Ptitzine, Varia, Gania, Lébédeff lui-même, — tous avaient l’air un peu confus. Chose plus étrange encore, Hippolyte et le « fils de Pavlichtcheff » paraissaient légèrement étonnés aussi ; le mécontentement du neveu de Lébédeff était visible. Seul le boxeur restait parfaitement calme, il tordait ses moustaches avec une gravité compassée, et, s’il baissait un peu les yeux, ce n’était point certes par confusion, mais, semblait-il, par une noble modestie, comme un homme qui ne veut pas triompher insolemment. Il était clair que l’article lui plaisait au plus haut point.

— C’est le diable sait quoi, grommela à demi-voix Ivan Fédorovitch, — cinquante laquais, certainement, se sont réunis pour composer cela.

— Permettez-moi de vous demander, monsieur, comment