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Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/132

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pourquoi donc ne te lèves-tu pas et ne t’approches-tu pas d’elle pour t’assurer personnellement du fait ? Après tout, c’était peut-être la crainte qui m’en empêchait. Mais, dès que cette idée me fut venue, je sentis soudain mes genoux vaciller et un frisson glacial parcourir mon dos. Dans ce même instant, Rogojine qui paraissait avoir deviné ma frayeur écarta la main sur laquelle il appuyait sa tête, se redressa, et, me regardant fixement, ouvrit la bouche comme s’il allait se mettre à rire. La rage s’empara de moi et je voulus me jeter sur lui ; mais, m’étant juré de ne pas prendre le premier la parole, je restai sur mon lit ; d’ailleurs, j’en étais encore à me demander si c’était bien Rogojine lui-même que j’avais sous les yeux.

« Je ne saurais dire au juste combien de temps cela dura ; je ne me rappelle pas bien non plus si je n’eus point parfois quelques moments de sommeil. À la fin Rogojine se leva, il m’examina encore longuement et d’un œil attentif comme il l’avait fait lorsqu’il était entré, mais cette fois sans sourire ; puis il se dirigea tout doucement vers la porte, l’ouvrit et se retira en la refermant sur lui. Je ne quittai pas mon lit ; combien de temps restai-je encore couché les yeux ouverts, pensant Dieu sait à quoi ? je ne me le rappelle pas ; je ne sais pas non plus comment je m’endormis. Le lendemain, à neuf heures passées, des coups frappés à ma porte me réveillèrent. Il est de règle à la maison que si, avant neuf heures, je n’ai pas crié qu’on m’apporte mon thé, Matréna doit elle-même venir cogner chez moi. Au moment où je lui ouvris, je me fis soudain la réflexion suivante : Comment donc a-t-il pu entrer, puisque la porte était fermée ? Je questionnai et j’acquis la conviction qu’il était impossible que Rogojine eût pénétré dans ma chambre, attendu que la nuit toutes nos portes sont fermées à la clef.

« C’est le cas particulier raconté ci-dessus avec tant de détails qui a été la cause déterminante de ma résolution. Je n’y ai donc pas été amené par la logique, par le raisonnement, mais par le dégoût. Je ne puis rester en vie, quand la