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— Depuis longtemps je cherchais l’honneur et l’occasion de vous rencontrer, très-estimé Léon Nikolaïévitch, depuis longtemps, fort longtemps, murmura-t-il en serrant presque à lui faire mal la main du prince, — depuis très, très-longtemps,

Le prince l’invita à s’asseoir.

— Non, je ne m’assiérai pas ; d’ailleurs, vous alliez sortir, ce sera… pour une autre fois. Il paraît que je puis vous féliciter de… l’accomplissement… des désirs de votre cœur.

Le prince se troubla. Avec l’aveuglement des amoureux, il se figurait que personne ne voyait, ne devinait et ne comprenait rien.

— De quels désirs parlez-vous ? demanda-t-il.

— Soyez tranquille, soyez tranquille ! Je n’alarmerai pas des sentiments très-délicats. Je sais moi-même par expérience qu’on n’aime pas qu’un nez étranger… comme dit le proverbe… se fourre là où on ne le demande pas. J’éprouve cela tous les matins. C’est pour autre chose que je suis venu, pour une affaire importante, très-importante, prince.

Le prince le pria encore une fois de s’asseoir et s’assit lui-même.

— Je ne resterai qu’une seconde… Je suis venu pour avoir un conseil. Sans doute je n’ai pas de but positif dans la vie, mais, me respectant moi-même et… estimant l’esprit pratique, dont le Russe est si dépourvu, en général… je désire me mettre, ainsi que ma femme et mes enfants, dans une position… en un mot, prince, j’ai besoin d’un conseil.

Le prince approuva chaleureusement les intentions du général.

— Allons, tout cela ne signifie rien, interrompit brusquement celui-ci, — tel n’est pas le principal objet de ma visite, je suis venu pour autre chose, pour une affaire grave. J’ai résolu de m’ouvrir à vous, Léon Nikolaïévitch, comme à un homme dont la sincérité des procédés et la noblesse des sentiments sont aussi sûres pour moi que… que… Vous ne vous étonnez pas de mes paroles, prince ?