Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/23

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Et cet équipage, ces chevaux blancs… c’est vraiment chic, comme on dit en français. Qui est-ce qui l’entretient sur ce pied-là ? En vérité, j’avais fait un jugement téméraire, j’avais pensé avant-hier que c’était Eugène Pavlitch. Mais il est prouvé que ce ne peut pas être lui ; eh bien, s’il en est ainsi, pourquoi veut-elle provoquer une rupture entre nous ? Voilà, voilà le problème ! Pour garder Eugène Pavlitch ? Mais je te répète, je te jure sur la croix qu’il ne la connaît pas, et que ces lettres de change sont une invention ! Et avec quelle impudence elle le tutoie à haute voix, en pleine rue ! Il y a là positivement une manœuvre ! Il est clair que nous devons repousser cela avec mépris et témoigner deux fois plus d’estime à Eugène Pavlitch. C’est dans ce sens que j’ai parlé à Élisabeth Prokofievna. Maintenant je vais te dire ma pensée intime : je suis fermement persuadé qu’elle agit ainsi par rancune personnelle contre moi, tu te rappelles, à cause du passé, quoique jamais je ne me sois donné de torts envers elle. Je rougis au seul souvenir de cela. À présent la voilà de nouveau en vedette, je la croyais disparue pour tout de bon. Où est donc ce Rogojine ? dites-le moi, je vous prie. Je pensais qu’elle était depuis longtemps déjà madame Rogojine.

En un mot, Ivan Fédorovitch était très-désorienté. Pendant près d’une heure que dura le voyage, il parla seul, posant des questions, y répondant lui-même, serrant la main du prince. Il convainquit du moins celui-ci qu’il ne pensait pas à le soupçonner de quoi que ce fût. C’était l’important pour Muichkine. Le général termina par quelques mots au sujet de l’oncle d’Eugène Pavlitch, qui était chef d’une chancellerie quelconque à Pétersbourg : « Il occupe un beau poste, il a soixante-dix ans, c’est un viveur, un gastronome, un vieillard qui n’a pas encore dételé… Ha, ha ! Je sais qu’il a entendu parler de Nastasia Philippovna, et qu’il a même recherché ses faveurs. Je suis passé chez lui tantôt ; il ne reçoit pas, il est souffrant ; mais il est riche, fort riche, il a une situation considérable et… Dieu veuille lui conserver la vie pendant de longues années, mais c’est encore