Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/258

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justement se trouvait alors de passage à Pétersbourg. Cette dame était la marraine d’Aglaé.

Elle écouta les confidences fiévreuses et désespérées d’Élisabeth Prokofievna sans se laisser aucunement émouvoir par les larmes de la malheureuse mère ; elle la considérait même d’un air moqueur. C’était une femme terriblement despotique que la « vieille » Biélokonsky ; elle n’oubliait jamais son rang, même avec ses plus anciennes amies ; parce que, trente-cinq ans auparavant, elle s’était intéressée à Élisabeth Prokofievna, elle la traitait toujours en « protégée » et ne pouvait lui pardonner son indépendance de caractère. La princesse observa notamment que la visiteuse et les siens « avaient probablement grossi les choses, selon leur invariable habitude, et fait un éléphant d’une mouche ; de ce qu’elle venait d’entendre ne résultait pas pour elle la conviction qu’il s’était passé chez eux quelque chose de sérieux ; ne valait-il pas mieux attendre et laisser venir les événements ? Le prince, à son avis, était un jeune homme comme il faut, mais malade, bizarre et fort insignifiant. Le pire, c’était qu’au vu et au su de tout le monde il entretenait une maîtresse. » Élisabeth Prokofievna comprit très-bien que la princesse Biélokonsky était un peu fâchée de l’insuccès d’Eugène Pavlovitch qu’elle-même avait présenté aux Épantchine. La générale revint à Pavlovsk encore plus irritée qu’elle ne l’était en partant pour Pétersbourg, et tout d’abord elle se mit à invectiver son entourage : « Vous avez perdu l’esprit ; décidément les choses ne se font ainsi nulle part, cela ne se voit que chez nous ; pourquoi s’est-on tant pressé ? Qu’est-ce qui est arrivé ? J’ai beau examiner, je ne trouve rien qui m’autorise à penser que quelque chose est arrivé ! Attendez, laissez venir les événements ! Qu’importe ce qu’Ivan Fédorovitch a cru remarquer ! Est-ce qu’il faut faire un éléphant d’une mouche ? » etc., etc.

La conséquence était qu’il fallait se calmer, envisager froidement les choses et attendre. Mais, hélas ! le calme ne dura pas dix minutes, et la générale recommença à s’inquiéter